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La bataille
du Rio de la Plata

Odyssée du Graf Spee

Enfin, la Royal Navy avait trouvé son insaisissable ennemi. Pour l'armement et le blindage, la balance penchait en faveur des Allemands ; mais les Anglais avaient l'avantage du nombre et de la vitesse. Ils avaient également pour eux l'expérience de plusieurs siècles de tradition maritime.

Corsaire en vue par 322 degrés !

A l'aube du 13 décembre 1939, Langsdorff, qui s'était emparé de documents révélant la route suivie par des navires marchands qui quittaient la Plata, croisait à la recherche d'une proie. Il avait décidé de faire demi-tour en fin de journée, si rien n'était en vue, et de retraverser l'Atlantique, en direction de la côte africaine. Il filait alors 15 noeuds dans la direction sud-sud-est.
L'Ajax, l'Achilles et l'Exeter (14 noeuds) zigzaguaient dans la direction est-nord-est. Dans l'éventualité d'une rencontre avec le Graf Spee, Harwood avait, la veille, donné les ordres suivants à ses subalternes : « Attaquez en force, de jour ou de nuit », et disposé ses bâtiments en deux groupes : d'un côté l'Ajax et l'Achilles, de l'autre l'Exeter. Tandis que l'Ajax et l'Achilles concentreraient leur feu, comme s'il ne s'agissait que d'un seul navire, l'Exeter, lui, attaquerait d'une autre direction. Pour Harwood, il n'était pas question d'attendre les renforts avant d'engager le combat.
Il est douteux, cependant, que Harwood ait envisagé que le navire ennemi apparaîtrait à l'horizon à l'heure H. C'eût été une coïncidence fantastique et il se bornait à attendre de ses nouvelles par le message « corsaire en vue » d'un bateau marchand attaqué par le Graf Spee. Il n'avait même pas songé à envoyer un avion de reconnaissance.
Le bâtiment allemand, grâce à la hauteur de sa tour de vigie, aperçut le premier son adversaire. Deux mâts apparurent à tribord à 5 h 52, puis deux autres encore. Langsdorff garda le même cap et la même vitesse et se prépara au combat. A 6 heures, le Graf Spee identifia le bâtiment de tribord — l'Exeter, aux mâts très hauts — et prit les deux autres pour des destroyers.
Langsdorff, persuadé qu'ils assuraient la protection d'un convoi en provenance de la Plata, décida d'attaquer immédiatement et accrut sa vitesse (ce qui eut pour effet d'émettre un lourd nuage de fumée noire pendant un certain temps) afin de se rapprocher des navires britanniques avant que ceux-ci, avec leurs turbines à vapeur, eussent eu le temps d'atteindre la vitesse maximum.
Les vigies britanniques n'avaient pas aperçu le Graf Spee ; elles avaient remarqué le nuage de fumée noire et cru, sur le moment, avoir affaire à un bateau marchand. Harwood avait donné l'ordre à ses navires de cesser toute émission (silence radio). Il demanda à l'Exeter par signaux optiques de s'assurer de la nationalité de ce navire et donna des instruction au capitaine Bell : si ce navire faisait route vers la Plata, il faudrait lui transmettre un message pour le consul anglais, que Harwood avait reçu pour le faire parvenir à Montevideo.
A 6 h 14, l'Exeter vira de bord et se dirigea vers le Graf Spee. Les deux navires fonçaient l'un vers l'autre à près de 90 kilomètres à l'heure : le premier croyant rencontrer un navire ami, le second, ses canons braqués, prêt à ouvrir le feu. Vers 6 h 16, Bell transmit à l'Ajax : « Je crois qu'il s'agit d'un cuirassé de poche », suivi bientôt de la phrase fatidique : « Ennemi en vue par 322 degrés. »
Les navires de Harwood, par bonheur, occupaient presque les positions souhaitées : le Graf Spee, venant du nord-ouest, s'offrait sur tribord à l'Exeter, tandis que l'Ajax et l'Achilles, allant vers le nord-est, se trouvaient à bâbord du cuirassé de poche.

Un combat sans merci

le Graf Spee ouvrit le feu pendant la bataille du Rio de la Plata
A 6 h 17, le Graf Spee ouvrit le feu de ses deux tourelles sur l'Exeter et le toucha à la troisième salve. A 6 h 23, Un obus, l'atteignant par le travers, tua le personnel du tube lance-torpille de tribord, endommagea le système de communications et provoqua des incendies, tandis que l'avion et les projecteurs étaient criblés d'éclats. Mais le pire, du point de vue des officiers canonniers, fut la mise hors d'état des lampes témoins qui permettaient de savoir quand les canons étaient chargés et prêts à faire feu, et de l'avertisseur qui indiquait quand une salve atteignait son objectif. Un peu plus tard, un autre obus s'abattit sur la tourelle B et l'infirmerie et traversa la coque sans exploser.
Jusque-là, le cuirassé allemand avait utilisé des obus à retardement, qui explosaient une fraction de seconde après avoir traversé le blindage ; il se servit ensuite des obus d'impact. De leur côté, les canons de l'Exeter touchèrent le Graf Spee, à la troisième salve, mais un peu plus tard, un obus tiré par le cuirassé de poche à sa huitième salve atteignit la tdurelle B de l'Exeter, la mit hors d'usage et tua huit hommes. Les éclats criblèrent la passerelle, qui fut transformée en passoire, détruisirent la timonerie et ne laissèrent que trois officiers vivants, dont le commandant Bell, qui fut blessé.
Les deux tourelles restantes tiraient toujours, mais l'Exeter commença à virer de bord et, lorsque l'officier torpilleur reprit connaissance, il s'aperçut que si le navire poursuivait son mouvement, la tourelle A ne serait bientôt plus en position de tir. Il envoya l'ordre de mettre « à 25 degrés bâbord » afin de placer à nouveau le navire en bonne position. Les deux tourelles purent continuer à tirer et un obus de la cinquième ou sixième salve toucha le Graf Spee près de la cheminée.
Quelques minutes après la destruction de la tourelle B, Bell réussit à diriger le navire de l'arrière avec le compas d'un canot et une chaîne de messagers qui transmettaient ses ordres. Le Graf Spee, à 12 000 mètres de là environ, suivait, à tribord, une route opposée mais parallèle à l'Exeter.
Pendant ce temps, l'Ajax et l'Achilles, à bâbord du Graf Spee, avaient ouvert le feu à 6 h 20, à une distance de 18 000 mètres environ, mais leurs salves furent trop courtes. Le Graf Spee commença à les canonner avec son artillerie auxiliaire, réservant le feu de ses tourelles à l'Exeter.
Langsdorff, cependant, s'était rendu compte que les deux croiseurs, en lui passant par l'avant, s'étaient mis dans une position favorable — à 25 degrés par bâbord environ pour lancer contre le Graf Spee une attaque par torpilles. Apercevant la fumée qui s'élevait de l'Exeter, touché plusieurs fois, il estima que le bâtiment anglais ne représentait plus une grande menace pour lui et vira lentement vers le nord afin de diriger le feu de ses tourelles sur l'Ajax. Celui-ci fut presque immédiatement encadré et vira de bord afin d'éviter la salve suivante. L'Achilles l'imita.
Langsdorff avait les deux croiseurs par tribord arrière, ce qui le mettait presque à l'abri d'une attaque par torpille. L'Exeter était par bâbord arrière et virait vers lui. Il était déjà terriblement endommagé. Juste avant de retourner son artillerie lourde contre l'Ajax, le Graf Spee avait encore touché l'Exeter deux fois. Le premier obus avait atteint une ancre de veille, en faisant un trou de 1,80 mètre sur 2,40 mètres au-dessus de la ligne de flottaison, provoquant un début d'incendie et perforant une cloison étanche. Le second avait éclaté sur le pont, devant la tourelle A, causant encore plus de dégâts. L'avant de l'Exeter commençait à faire eau et tout le navire était couvert de la fumée sortant des brèches et des écoutilles. C'est cela qui incita Langsdorff à tourner son artillerie lourde contre l'Ajax et l'Achilles. Mais, de son côté, l'officier torpilleur de l'Exeter s'était rendu compte que le Graf Spee ne tarderait pas à offrir une bonne cible. Sans prendre le temps d'en référer au commandant Bell, il rassembla le personnel valide et, à 6 h 31, lâcha trois torpilles contre le cuirassé allemand.
La chance fut contre lui, car, à cet instant précis, Langsdorff avait commencé à virer lentement vers le nord afin d'éviter précisément les torpilles de l'Exeter.
Le commandant du croiseur britannique se plaça immédiatement à tribord de son adversaire, prêt à lancer les torpilles de bâbord. Mais Langsdorff avait compris la manoeuvre et retourna les canons de ses tourelles vers l'Exeter. A ce moment-là, la fumée qui s'échappait de l'Exeter était telle que les Allemands crurent qu'il s'agissait d'un écran de fumée artificielle.

L'Exeter hors de combat.

L'Exeter hors de combat pendant la bataille du Rio de la Plata
A 6 h 39, un obus toucha la cabine de l'officier des montres de l'Exeter, tua quatre opérateurs radio et finalement éclata sur un canon de tribord. Un peu plus tard, un autre obus atteignit le canon de droite lui arrachant son blindage frontal et détruisant entièrement son installation.
Presque en même temps, un autre obus éclata dans la salle de maistrance, provoquant un incendie redoutable dans la soute aux munitions, perçant la coque au-dessous de la ligne de flottaison et traversant trois cloisons étanches. D'autres éclats dévastèrent le standard, la salle avant des dynamos, mettant hors d'usage des circuits électriques vitaux, y compris ceux qui alimentaient la radio de bord, et qui constituaient le cerveau du poste principal de l'artillerie du navire. D'autres instruments précieux furent détruits et cet obus mit finalement l'Exeter hors de combat.
Le croiseur continuait pourtant à se battre. La tourelle Y fonctionnait encore, grâce au courage de l'officier canonnier, le lieutenant Richard Jennings. Celui-ci, en dépit de la canonnade, se tenait au sommet de la tourelle, donnant à travers un hublot des instructions pour corriger le tir de ses deux pièces, comme on le faisait au temps de Nelson !
La salle des machines était intacte. Bien qu'il fût en train de couler lentement, le navire avait gardé toute sa vitesse et demeurait en action. Ce ne fut pas un autre coup du Graf Spee qui l'obligea à rompre le combat peu après : l'eau pénétrant par de nombreuses fissures avait interrompu l'alimentation électrique de la tourelle Y et celle-ci cessa de fonctionner. Sa dernière tourelle réduite ainsi au silence, son navire coulant et avec un seul compas disponible, Bell reçut l'ordre du commodore de cesser toute action au moment même où il songeait à éperonner le Graf Spee.
Pendant ce temps-là, à 6 h 37, l'Ajax et l'Achilles avaient d'abord viré vers le nord et ensuite vers l'est pour suivre les évolutions du bâtiment allemand et se rapprocher de lui.
Le pilote de l'hydravion de l'Ajax attendait impatiemment de prendre l'air : il en reçut finalement l'ordre, dans la mesure où il n'interromprait pas le feu des tourelles, la catapulte étant dans leur champ de tir ! Après le décollage de l'appareil, une salve du Graf Spee tomba à peu de distance de l'Achilles. Des éclats atteignirent la passerelle et la tour de contrôle, blessant le commandant Parry et réduisant l'artillerie au silence.
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